Son surnom lui venait de la façon particulière qu’il apportait à se déplacer. Avançant par à-coups mesurés en de courtes glissades de droite à gauche, pivotant prestement sur son arrière-train au moindre changement de direction, il allait ainsi, balançant d’une main sur l’autre le bas du corps recroquevillé ; et pareil à une grenouille qui se dresse sur les pattes avant, il s’accordait de temps à autre une pause, soulevait le vieux feutre fatigué, défraîchi, et s’épongeait le crâne ruisselant sous l’effort ; c’est avec grand soin qu’il le remettait en place, tirant sur le bord avant, l’inclinant légèrement sur les yeux, le lissant entre pouce et index à la manière de ces acteurs de cinéma qu’il avait vus faire.La maladie, une tare congénitale ?
Les membres inférieurs étaient repliés sur eux-mêmes et ne s’étaient pas développés ; bras et avant-bras étaient par contre impressionnants de puissance et de force ; les mains, aux doigts noués, abîmées, rendues calleuses par leur incessante activité sur tous les sols étaient d’une grande dextérité, prêtes à agripper, happer le garnement qui osait un geste déplacé ; elles maniaient avec science les outils du bourrelier, du temps où le métier persistait encore.
Toujours à la recherche de menus travaux, il lui arrivait de se faire matelassier, coursier, prompt à saisir la plus petite offre, la moindre proposition ; sa vieille mère faisant quelques ménages, leur subsistance semblait assurée. Je ne l’ai jamais entendu s’apitoyer sur sa condition, sur son sort : seulement ses cris hargneux quand la bêtise des adultes lui proposait de le remettre aux normes en l’écartelant, ou sa détresse cachée, moins forte que son penchant pour le « verre de rosé », quand il devait s’étirer toujours plus haut, plus loin, pour saisir le verre tendu par une main imbécile.
Tournez la page